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Un nouveau sens au drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes

L’étude de la transmission du drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes de ses concepteurs jusqu’à son propriétaire actuel, le Château Ramezay, laisse planer un doute sur sa présence à la bataille de Saint-Eustache. L’analyse matérielle réalisée par le photographe André Sarrazin confirme cette hypothèse : les marques que porte le drapeau ne sont pas des traces de l’affrontement entre les patriotes et l’armée britannique du 14 décembre 1837.

Vignette : Le drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes, conservé au Château Ramezay. (André Sarrazin)

Des traces de brûlure… ou de rouille?

Dans la partie inférieure du drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes se trouvent huit trous qu’on a longtemps attribués à des balles de fusil tirées pendant la bataille du 14 décembre 1837. Plusieurs éléments, révélés par l’analyse matérielle d’André Sarrasin, mettent cependant en doute cette origine.

Les trous longtemps attribués à des balles de fusil sont encerclés en rouge sur la photo. (André Sarrazin)

Les trous sont disposés de manière à former un rectangle. Les chances d’arriver à tel alignement de balles perdues dans le feu d’une bataille sont sans doute nulles. Il aurait fallu en effet que des soldats britanniques ou des volontaires loyaux placent le canon de leurs fusils directement contre le drapeau pour créer délibérément cette configuration. Mais dans quel but auraient-ils fait cela?

Une seconde explication, bien plus simple, est aussi plus crédible : les trous auraient été causés non pas par des balles, mais par des clous rouillés. En effet, en photographiant les trous en mode macro, André Sarrazin a pu poser un regard nouveau sur ceux-ci.

Ces photos macro du drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes permettent de voir les cernes bruns autour des trous. (André Sarrazin)

Ces photos révèlent que les cernes bruns qui entourent les trous sont en fait des tâches de rouille, et non des traces de brûlure, comme cela aurait été le cas si les trous avaient été causés par des balles de fusil. 

Pour André Sarrazin, la disposition des trous indique que le drapeau a été fixé à un cadre : il a été roulé autour des planches du cadre et y a été cloué. Les clous ont traversé la planche de part en part, perçant deux fois le tissu. Si vous regardez attentivement le drapeau, vous verrez en effet que les trous se « répondent ». Voici comment le drapeau aurait été fixé à son cadre selon André Sarrazin.

Le même clou ayant traversé deux fois le tissu, les paires de trous se « répondent » de manière symétrique.

La lisière manquante du drapeau patriote

Par conséquent, ne devrait-on pas aussi retrouver des trous dans la partie supérieure du drapeau? Où sont-ils?

La gaine du drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes se termine dans le haut par une longue bande de tissu blanc, ce qui laisse croire que le drapeau comportait à l’origine une lisière supplémentaire, aujourd’hui disparue. Un témoignage décrivant la procession patriotique du 1er juin 1837, partie de Saint-Benoît et qui accompagnait Louis-Joseph Papineau jusqu’aux villages de Saint-Eustache et Sainte-Scolastique, supporte cette hypothèse : « Un cavalier ouvrait la marche, portant le drapeau patriote, vert, blanc, rouge, orné d’un castor, d’une feuille d’érable et d’un maskinongé. » La lisière manquante aurait donc été décorée d’un castor.

La gaine du drapeau se trouve sur le côté droit du drapeau et non, comme c’est habituellement le cas, du côté gauche. Il est donc possible que le drapeau ait été fixé à l’endos d’un tricolore patriote. Le castor se serait donc trouvé au dos de la lisière rouge, la couronne de pommes de pin et le maskinongé, au dos de la lisière blanche, et la branche d’érable, au dos de la lisière verte, comme dans l’image ci-dessous.

Les dimensions du drapeau auraient été assez modestes. En effet, le drapeau mesure aujourd’hui 158 centimètres de longueur par 106 centimètres de largeur. Si on assume que la troisième lisière avait les mêmes dimensions que les deux autres, le drapeau original aurait alors eu une forme carrée d’environ 1,6 mètre de côté. Pour un drapeau porté par un cavalier pour ouvrir un défilé politique, ça reste quand même petit, surtout lorsque comparé à d’autres drapeaux et étendards de la même époque.

Dans le cadre de ses recherches, André Sarrazin a appris qu’à cette époque, la lisière centrale blanche de drapeaux comme le tricolore patriote était souvent décorée d’un slogan politique ou d’images. De l’avis d’André Sarrazin, il est donc possible que le drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes ressemblait originellement à l’image ci-dessous.

Encore une fois, l’étude du drapeau en mode macro ajoute de la crédibilité à cette théorie : le fond derrière la branche d’érable et la couronne de pin est peint en blanc, possiblement pour qu’ils se fondent dans la lisière centrale. Selon André Sarrazin, le drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes aurait eu deux formes : une première, l’originale, composé par Jean-Joseph Girouard, puis une seconde, une fois le drapeau en possession de Damien Masson, lequel en change la forme en superposant les trois images et cloue le drapeau à un cadre en bois.

Un trou laissé par un boulet de canon?

Un autre dommage reste à démystifier : le trou situé dans le coin inférieur droit du drapeau, supposément causé par un boulet de canon. André Sarrazin n’est pas convaincu par cette hypothèse. Le souffle créé par le passage du boulet aurait au contraire déformé le drapeau, empêchant la formation d’un trou, à moins que deux patriotes n’aient tenu le drapeau de chaque côté au moment de l’impact. Lorsqu’on observe attentivement le drapeau, on peut voir que le trou n’est pas une déchirure, comme celle qu’aurait fait un large projectile traversant le tissu, mais bien un morceau de tissu arraché.
Le trou situé dans le coin inférieur droit du drapeau. (André Sarrazin)

Le morceau de tissu manquant, qu’on pensait être un trou laissé par le passage d’un boulet de canon, a probablement été perdu au fil des différentes manipulations au travers du temps. Pour rappel, les experts de l’Institut canadien de conservation avait décrit le drapeau comme extrêmement friable lors de l’analyse réalisée en 1984.

Brûlé dans l’incendie de Saint-Eustache ou par une teinture chimique?

En fin de compte, qu’est-il arrivé à la lisière supérieure du drapeau, celle ornée d’un castor? La réponse se cache dans les marques de brûlure présentes sur le drapeau. On a longtemps cru que ces traces avaient été causées par l’incendie du 14 décembre 1837, mais elles seraient plutôt d’origine chimique : il s’agit en fait de rehauts à la teinture rouge, une teinture tellement forte qu’elle a complètement brûlé le tissu. En observant le drapeau avec cette information en tête, on se rend compte que les supposées traces de brûlure ressemblent effectivement à des éclaboussures. Il est donc possible que le castor, rehaussé à l’aide de cette teinture, ait entièrement brûlé.

Sur cette photo macro, on peut voir que les brûlures sont limitées aux deux apostrophes rouges sous la bouche du maskinongé. (André Sarrazin)

Quoi qu’il en soit, la lisière supérieure étant trop endommagée et dans un état embarrassant, elle aurait probablement été détruite. Pour André Sarrazin, le coupable est Charles-Hormidas Forté, le quatrième propriétaire du drapeau. En effet, c’est lui qui présente le drapeau en 1887 dans la revue Le Monde à l’occasion du 50e anniversaire de la rébellion de 1837. Qui sait si, en voulant restaurer le drapeau de son grand-oncle Damien Masson, il ne l’aurait pas accidentellement détruit? Ce que l’on sait avec certitude, c’est que la lisière supérieure a disparu lorsque le drapeau est exposé au Palais de Cristal par le docteur Leroux.

Une nouvelle interprétation du drapeau des patriotes des Deux-Montagnes

Le drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes n’est donc pas un étendard de bataille, mais un drapeau créé pour l’assemblée tenue à Sainte-Scholastique le 1er juin 1837, à laquelle assiste Louis-Joseph Papineau. Les témoins de cette procession nous rapportent que le cavalier qui ouvrait la marche faisait voler un tricolore patriote orné d’un castor, d’une feuille d’érable et d’un maskinongé.

Le 14 novembre 1837, le drapeau serait ensuite passé des mains de Jean-Joseph Girouard à celles de Damien Masson, qui s’en serait servi à des fins de recrutement. Selon André Sarrazin, Damien Masson serait probablement celui qui aurait superposé les trois lisières pour en faire un étendard, qu’il aurait ensuite cloué à un cadre de bois pour le soutenir. Masson cache le drapeau avec d’autres objets compromettants avant de fuir Saint-Benoît après la défaite des patriotes de Saint-Eustache aux mains de l’armée britannique.

Une fois libéré de prison, Masson reprend possession du drapeau et le garde jusqu’à la fin de sa vie. L’étendard passe ensuite de main en mai avec de devenir la propriété du Château Ramezay, où on peut encore l’admirer aujourd’hui. Fabriqué par des membres de l’Association des dames patriotiques du comté des Deux-Montagnes, il s’agit de l’un des rares témoins de la participation des femmes à la rébellion de 1837.

Une reproduction du drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes est conservée à l’Espace muséal du manoir Globensky. Visitez l’exposition La rébellion de 1837 dans le comté des Deux-Montagnes pour en savoir plus sur le contexte historique qui lui a donné naissance!

Nous remercions chaleureusement André Sarrazin d’avoir partagé le fruit de ses recherches sur le drapeau des patriotes du comté des Deux-Montagnes avec nous et d’avoir collaboré à la rédaction de cet article. 

Qui a écrit cet article?

Kevin Lajoie est titulaire d’un baccalauréat en histoire et en études classiques ainsi que d’une mineure en études médiévales. Il travaille pour Patrimoine culturel Vieux-Saint-Eustache depuis cinq ans : d’abord comme guide-interprète, puis comme chargé de projet. En 2023, il a participé à la toute première formation en meunerie artisanale au Québec, présentée par le Conseil québécois du patrimoine vivant. Il occupe officiellement le poste d’assistant-meunier au moulin Légaré depuis l’automne 2023.

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