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Jean-Joseph Girouard et les 92 Résolutions

Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard. 

Il est généralement reconnu que les leaders patriotes du comté des Deux-Montagnes, lors des troubles de 1837, étaient très « indépendants » du centre décisionnel du mouvement patriote montréalais. L’opinion du notaire Jean-Joseph Girouard sur les fameuses 92 Résolutions adoptées en février 1834 par la Chambre d’assemblée du Bas-Canada prouve cet état de fait. En effet, Girouard, tout en croyant en son utilité, jette un regard critique, pragmatique, donc fort lucide sur ce document historique.

Extrait des 92 Résolutions. (Collection privée)

Son témoignage est conservé à Montréal au Centre de conservation Lionel-Groulx. Le feuillet en question est dactylographié, ce qui pourrait laisser planer un certain doute sur son origine véritable. Il y est inscrit qu’il aurait été trouvé dans les papiers d’un certain Léon Rochon. Afin d’être en mesure de mieux comprendre l’opinion de Girouard, nous avons reproduit de manière intégrale son texte et avons juxtaposé (en italiques) les résolutions dont Girouard fait mention. Voici donc en intégralité :

Les Résolutions telles qu'amendées, ou plutôt totalement changées sont bien faites et je n'ai rien à y dire. Vous insistez pour que je vous dise sincèrement ce que j'en pense – je le dirai bien – car quelle est la chose à laquelle on ne trouverait pas à redire?

Je dirai d’abord qu’il ne s’agissait pas tant de mettre de l’ordre, de donner de l’étendue ou de corriger les fautes de style des premières que d’en faire d’un nouveau bois : c’est ce que j’aperçois dans celles-ci – Sont-elles meilleures que les premières? Je le crois – et j’en suis aussi fermement persuadé que les nouveaux ou le nouveau rédacteur.

Mais pourquoi a-t-on augmenté le nombre des résolutions? Cela prouve tout au plus la fécondité des rédacteurs sans aucune utilité pour la cause. S’il y a des oppositions, des contradictions, elles se multiplieront comme le nombre des Résolutions, chacune pouvant donner lieu à des discussions. Pourquoi donc embarrasser des procédés où nous avons tant besoin d’unanimité?

Croyez-vous que la 4e résolution soit assez claire surtout dans les phrases qui la terminent?

4. Résolu, – Que c'est l’opinion de ce comité, que cette chambre, comme représentant le peuple de cette province, a montré un vif empressement à avancer la prospérité générale du pays, en assurant la paix et le contentement de toutes les classes de ses habitants, sans distinction d’origine ni de croyance, sur la base solide et durable des mêmes liens politiques, d’un intérêt commun, et d’une égale confiance dans la protection de la mère patrie.

La 6e pourrait fort bien faire partie de la 5e sans lui faire rien perdre de son harmonie.

6. Résolu Que c’est l’opinion de ce comité, qu’en l’année 1827, une très grande majorité du peuple de cette province, par ses requêtes signées de 87 000 personnes, se plaignit d’abus graves et nombreux qui régnaient alors, dont plusieurs subsistaient depuis un grand nombre d’années et dont la plupart subsistent encore aujourd’hui sans adoucissement ni mitigation.

La 8e ne fait que colorer autrement les idées contenues dans la précédente.

8. Résolu,  Que c’est l'opinion de ce comité, que depuis cette époque la constitution de cette province, avec ses défectuosités sérieuses, a continué d'être administrée de manière à multiplier les difficultés et à augmenter les mécontentements qui y avaient longtemps prévalu; et que les recommandations du comité de la chambre des communes n’ont été suivies d'aucun résultat efficace et de nature à produire l’effet désiré.

Portrait d’Augustin-Norbet Morin (1803-1865), par Jean-Joseph Girouard. (Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Fonds Jean-Joseph Girouard, R5796- 0-1-F, e010958142)

Quant à la 9e résolution, son début me déplaît; parce que dans des expressions trop générales on implique certainement des innocents; ce qui est injuste pour ne rien dire de plus. Quelque grossière et mal écrite qu’ait pu paraître au rédacteur la partie des premières résolutions où il était dit que jusqu’à présent l’argent du peuple aurait été dépensé inconstitutionnellement, etc., je ne crois pas que celle-ci lui soit supérieure au moins du côté de la clarté et de la vérité.

9. Résolu,
– Que c’est l’opinion de ce comité, que la défectuosité la plus sérieuse de l’acte constitutionnel, son vice radical, le principe le plus actif de mal et de mécontentement dans la province, la cause la plus forte et la plus fréquente d’abus de pouvoir, d’infraction des lois, de dilapidations du revenu et du domaine publics, avec impunité pour les gouvernants et avec oppression et ressentiment pour les gouvernés, se trouve dans la disposition très injudicieuse, dont les funestes résultats furent prévus par feu le très honorable Charles James Fox, lorsqu’elle fut adoptée, savoir : celle qui donne à la couronne le pouvoir exorbitant, incompatible avec tout gouvernement tempéré et basé su la loi et la justice, et non sur la force et la coercition, de choisir et composer sans règles, sans limites, sans qualifications prédéterminées, toute une branche de la législature, réputée indépendante par la nature de ces attributions, mais inévitablement asservie à l’autorité qui la choisit, la compose, la décompose, la peut modifier chaque jour au gré de ses intérêts ou de ses passions du moment.

Dans la 10e, on peut observer que la réunion dont on parle n’est pas la seule cause qui nécessite une agence près du siège des États-Unis.

10. Résolu, - Que c’est l’opinion de ce comité, que l’abus est inséparable de l’usage d'un pouvoir aussi illimité, et que son exercice dans le choix de la majorité des membres du conseil législatif, tel que constitué pour cette province, a toujours eu lieu dans l’intérêt du monopole et du despotisme exécutif, judiciaire et administratif, et jamais en vue de l’intérêt général.

Portrait de Louis-Joseph Papineau (1786-1871). (Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), P600, S5, PLN37, gravure d’Annan Glasgow, vers 1840)

Je ne puis comprendre ce que l’on veut dire dans la 13e. Quoi! Donner des instructions au Parlement pour s’enquérir des abus de l’administration, tandis que c’est là même que sont les abus… Si l’on spécifiait notre mandat à nos représentants, encore cela pourrait passer.

13. Résolu,  Que c’est l’opinion de ce comité, que même en précisant des limites de cette nature, et en réglant la propriété foncière comme condition d’éligibilité à un conseil législatif choisi par le peuple, condition qui très heureusement et très sagement n’est pas attachée à l’éligibilité pour la chambre d’assemblée, cette chambre parait plutôt avoir eu en vue de ménager les opinions reçues en Europe, où la loi et les mœurs donnent tant de privilèges et d’avantages artificiels à la naissance, au rang et à la fortune, qu’aux croyances reçues en Amérique, où l’influence de la naissance est nulle, et où, malgré l’importance naturelle que la fortune commandera toujours, l’introduction artificielle de grands privilèges dans l’ordre public, en faveur de la grande propriété, ne pourrait se soutenir longtemps contre la préférence donnée, dans les élections libres aux vertus, aux talents et aux lumières, que la fortune n’exclut pas, mais qu’elle ne peut acheter, et qui peuvent accompagner une pauvreté honnête, contente et dévouée, que dans le système électif la société devrait avoir le droit d’appeler et de consacrer au service de la patrie, préférablement à la richesse, lorsqu’elle y serait jugée plus propre.

Les 3 dernières n’auraient pu en former qu’une, etc.

90. Résolu, Que c’est l’opinion de ce comité, que l’honorable Denis Benjamin Viger, soit prié de demeurer au siège du gouvernement de Sa Majesté, durant au moins la présente session du parlement Impérial; ce continuer à y veiller aux intérêts de la province avec le même zèle et le même dévouement, sans se laisser décourager par les exceptions de forme de ceux qui ne veulent pas entendre les plaintes du pays.

91. Résolu, Que c’est l’opinion de ce comité, que les dépenses justes et raisonnables des dits deux comités de correspondance ci-dessus, en exécution des pouvoirs que leur confie cette chambre, sont une dette qu'elle contracte envers eux; et que, les représentants du peuple sont liés d’honneur à employer tous les moyens constitutionnels pour les rembourser à cet égard, ainsi que ceux qui leur feront des avances pour les fins énoncées ci-dessus.

92. Résolu, Que c’est l’opinion de ce comité, que le message de Son Excellence le gouverneur en chef, reçu le treize janvier dernier, relatif au writ pour le comté de Montréal, avec l’extrait d’une dépêche qui l'accompagne, le message du même, reçu le même jour, relatif au bill des subsides, et le message du même, reçu le quatorze janvier dernier, avec l’extrait d’une dépêche qui l’accompagne, soient biffés des journaux de cette chambre.

Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

Qui a écrit cet article?

Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001). 

Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018). 

Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013. 

Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

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