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Jean-Joseph Girouard : prisonnier politique

Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard. 

Alors que le village patriote de Saint-Benoît est la proie des flammes, les 15 et 16 décembre 1837, le notaire et chef patriote de l’endroit Jean-Joseph Girouard, à l’instar de ses acolytes, est en fuite. Passant par l’Anse-aux-Éboulis, aux abords du lac des Deux-Montagnes, puis Vaudreuil, Saint-Polycarpe et en vain Côteau-du-Lac, Girouard décide, en son âme et conscience, de se constituer prisonnier et ainsi de partager la détention de ses amis.

Plan de Saint-Benoît et des environs, par Jean-Joseph Girouard. (Centre de recherche Lionel-Groulx (CRLG), P4/A2a, 1.6, Plan de Saint-Benoît et des environ, par Jean-Joseph Girouard, 27 août 1838)

Le colonel John Simpson, un ancien adversaire politique, le conduit à la prison « neuve » de Montréal, située au pied du courant Sainte-Marie. Il est donc incarcéré une première fois le 26 décembre 1837. Considéré comme étant un prisonnier important, tout comme le Dr Wolfred Nelson, il est emprisonné dans une cellule privée munit d’un lit et de quelques commodités, dont une table qui lui sert de bureau de travail. Les autorités lui interdisent un certain temps de communiquer avec les autres détenus, principalement Nelson. Vers la fin de juin 1838, il refuse de signer l’aveu de culpabilité qu’on lui soumet à l’instar des huit exilés aux Bermudes (dont Nelson et Masson). Il est libéré le 16 juillet suivant moyennant un cautionnement de 5 000 £ (l’équivalent d’environ 1 000 000 $ de nos jours), une fortune quoi, même pour l’époque.

Vraisemblablement en raison de son implication dans la résistance de 1837 et de par ses nombreux liens étroits avec bon nombre de patriotes influents, il est de nouveau mis sous arrêt et conduit à nouveau derrière les barreaux, le 4 novembre 1838, à la suite de l’insurrection des Frères chasseurs. Cette fois, il est détenu dans la même cellule que ses amis Louis-Hippolyte La Fontaine, Joseph-Amable Berthelot (fils) et Amable Berthelot. Il est ensuite élargi le 27 décembre de la même année.

Prison neuve de Montréal en 1837-1838, communément appelée la prison du Pied-du-Courant, où Jean-Joseph Girouard réalisa ses portraits de patriotes. (Newton Bosworth, Hochelaga Depicta ; or the Early History of Montreal, 1839, p. 158. Gravure d’après James Duncan. Bibliothèque des livres rares et collections spéciales. Université de Montréal)

Pendant ces neuf mois d’incarcération, le notaire patriote fait beaucoup de lectures (pour lui et pour ses compagnons) et entretient une importante correspondance, principalement avec sa femme, Marie-Louise Lamédèque dite Félix et son ami et député de Bellechasse Augustin-Norbert Morin. À sa femme, notamment, il demande et réclame souvent du matériel pour dessiner et la rassure sur sa santé et ses occupations. Dans une lettre à cette dernière, en date du 17 avril 1838, il dit : « Je suis celui des prisonniers qui supporte le mieux la détention, non que j’aie la présomption d’avoir plus de fermeté d’âme ou de courage que les autres, mais parce que je me suis fait des occupations qui emploient presque tous mes instants et ne me laissent guère le temps de faire de la bête noire. »

Pendant ses sept premiers mois de détention, Girouard réalise environ 75 portraits (connus), dont 70 de ses compatriotes prisonniers politiques. On retrouve notamment parmi les autres esquisses celles du geôlier Charles Wand, du teneur de livre et assistant-geôlier Pierre-Jacques Beaudry et de l’éditeur newyorkais William Hayward.

Il en profite aussi pour adresser à son épouse quelques portraits de ses compagnons des Deux-Montagnes : celui réunissant Jean-Baptiste Dumouchel et ses deux fils Hercule et Camille, celui des deux Joseph Robillard père et fils, celui de Pierre-Auguste Labrie, fils de son défunt ami, le Dr Jacques Labrie, celui de Jean-Olivier Chénier dédié à sa veuve, Zéphirine Labrie, ainsi que celui des frères Luc-Hyacinthe et Damien Masson adressé à leur mère, Louise Choquette.

Le 16 janvier 1838, il écrit ces quelques mots à sa femme : « Si, parmi mes effets qui n’ont pas été pillés ou brûlés, vous pouviez trouver mes quatre boîtes de pastels et le rouleau de papier gris ou roux fait de bourre de soie exprès pour ces crayons, il faudrait m’envoyer cela dans une boîte bien close et dans du fourrage. Je m’en amuserais bien ici où j’essaierais à faire quelques portraits. »  

Par ailleurs, Girouard s’adonne aussi à la composition derrière les barreaux. En février 1838, il rédige une « Chanson par un prisonnier politique » sur l’air de Toi qui me fis connaître. C’est durant sa seconde incarcération (4 novembre au 27 décembre 1838) que Girouard réalise une quinzaine d’autres portraits de prisonniers politiques, dont ceux d’Amable Badeau, Amable Berthelot (fils), François Bourassa, Jean-Baptiste-Henri Brien, Édouard-Raymond Fabre et Charles Gouin. Outre sa femme, Girouard peut compter sur la générosité d’Adèle Berthelot, épouse de Louis-Hippolyte La Fontaine, qui lui procure du papier et des crayons pour ses dessins. Ces portraits de patriotes sont sans contredit les visages des rébellions de 1837-1838.

Portrait de Louis-Hippolyte La Fontaine, par Jean-Joseph Girouard. (Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Fonds Jean-Joseph Girouard, R5796- 0-1-F, e010947015)

Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

Qui a écrit cet article?

Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001). 

Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018). 

Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013. Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

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