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La dévastation de Saint-Benoît

Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard. 

Quant à Saint-Benoît tout était en cendres, et il n'en restait que les cheminées.

Durant les troubles de 1837-1838, Jean-Joseph Girouard est essentiellement reconnu non seulement pour son leadership politique dans le comté des Deux-Montagnes, mais a posteriori pour ses portraits de patriotes réalisés lors de sa détention dans la prison neuve de Montréal.

Il faut savoir que bien avant Saint-Eustache – village trop divisé politiquement –, c’est le petit village de Saint-Benoît qui est le chef-lieu des patriotes au nord de Montréal. Vers la mi-décembre 1837, Girouard se prépare à une éventuelle attaque provenant du nord-ouest et à un encerclement au sud par l’armée de John Colborne. Il demande aux habitants de « se retirer chez eux et à demeurer tranquilles, mais non sans avoir fait disparaître leurs armes et leurs munitions.

Portrait de Sir John Colborne (1778-1863), général en chef des forces armées britanniques en Amérique du Nord. (Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), P1000, S4, D83, PC98-2, photographie d’une peinture ancienne de Sir John Colborne, Id 370710.)

Lors d’une réunion improvisée chez le notaire, plusieurs habitants lui conseillent de chercher son salut dans la fuite, ce qu’il fait en apprenant la chute de Saint-Eustache, mais non sans avoir insisté pour demeurer auprès de ses hommes. Lorsqu’il apprend l’arrestation de ses amis Dumouchel et Masson, il se livre lui-même aux autorités.

Au matin du 15 décembre 1837, Colborne et ses troupes quittent Saint-Eustache. Sur la route du Grand-Brûlé, ils rencontrent 14 hommes de Saint-Benoît munis d’un drapeau blanc envoyés par le curé d’Oka Nicolas Dufresne afin de présenter la reddition des habitants de Saint-Benoît, Saint-Hermas et Sainte-Scholastique. Après une brève discussion, le général assure d’incendier le village de Saint-Benoît si les résistants refusent de déposer les armes. Le groupe s’empresse de revenir au village afin d’avertir les plus déterminés. À son arrivée à Saint-Benoît, déjà pacifié, l’état-major de Colborne s’installe en partie dans la maison de Girouard.

Pendant ce temps, le major Townshend, en provenance d’Argenteuil, se dirige vers Saint-Benoît à la tête de 150 réguliers et de 300 à 400 volontaires loyalistes. Le major emprunte le chemin longeant la baie de Carillon afin d’éviter les retranchements des patriotes non loin de la Côte-Double. Chemin faisant, les volontaires pillent et incendient quelques propriétés.

Le Carillon-St. Andrews Volunteers Corps arrivent à Saint-Benoît le 15 décembre vers 13h, un peu après les troupes régulières du Colborne. Le village ayant déposé les armes, Colborne ordonne aux volontaires d’Argenteuil de rentrer chez eux, mais puisque la nuit tombe, ils sont autorisés à demeurer au village. Les hommes de Townshend prennent donc leurs quartiers dans les différentes résidences ainsi que dans l’église paroissiale.

Avant son départ pour Montréal le lendemain matin, le général en chef ordonne l’incendie des maisons des leaders patriotes de l’endroit. Toutefois, 89 édifices seront brûlés au matin du 16 décembre. L’église elle-même est incendiée à trois reprises ; les deux premières tentatives échouant par l’intervention in extremis de quelques soldats.

Une représentation idéalisée et romantique du sac de Saint-Benoît les 15 et 16 décembre 1837. (Dessin Par Tiret Bognet, publié dans Le Monde Illustré, 7ième année, no. 322, 5 juillet 1890. Tiré de Robert-Lionel Séguin, L’esprit révolutionnaire dans l’art québécois, Montréal, Éditions Parti-Pris, 1972, p. 263.)

D’après Alfred Stikeman, un des volontaires d’Argenteuil, le général « Forbes lui-même se trouvait avec Colborne et son état-major quand le village fut incendié. Ensemble, ils regardèrent toutes les troupes galoper au milieu des flammes […] chacun saccageant, s’emparant du butin, volant des chevaux, des meubles, des voitures, etc. ». Townshend écrit lui-même un rapport des incendies à l’égard du colonel Charles Gore, le 18 décembre 1837 : « Avant mon départ de Grand-Brûlé, on a mis le feu à presque toutes les maisons de la ville, ainsi qu’à l’église, à la maison du curé, etc. Je n’ai épargné aucun effort pour sauver tout ce qui pouvait l’être, mais il était impossible de réfréner les irréguliers auxquels nous avons fait appel, et qui ont toujours été, selon moi, les instruments du châtiments. Ce sont eux aussi, qui ont incendié deux maisons sur la ligne de marche ».

Finalement, les volontaires furent accusés de s’être livrés au pillage à leur retour dans la seigneurie d’Argenteuil. Le même Stikeman ne nie pas les faits « déclarant toutefois qu’ils avaient suivi l’exemple des troupes régulières ».

Dessin des ruines du village de Saint-Benoît après l’incendie des 15 et 16 décembre 1837. (Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Fonds Jean-Joseph Girouard, C-133473, dessin des ruines du village de Saint-Benoît après l’incendie des 15-16 décembre 1837, réalisé par Jean-Joseph Girouard.)

Transcription du texte du dessin de Girouard sur les ruines de Saint-Benoît :

« Vue de partie des ruines du village de Saint-Benoit entièrement pillé et incendié les 15 et 16 décembre 1837 par les troupes anglaises et les volontaires armés, commandés par le lieutenant-général Sir J. Colborne en personne malgré sa promesse que les propriétés et les personnes seraient respectées, et en violation de l’assurance donnée aux habitants de Saint-Benoît qui ne lui offrirent aucune résistance, ayant protesté dans une députation qu’ils lui envoyèrent à son départ de Saint-Eustache, qu’ils n’avaient point pris les armes contre le gouvernement, mais pour se protéger contre les soi-disant loyaux d’Argenteuil, Gore et qui depuis quelques temps menaçaient de venir les brûler et les piller. Cependant, l’armée, après avoir incendiée 2 églises, 2 presbytères, 1 couvent, 4 moulins, 111 maisons, 12 granges pleines, 168 autres bâtiments, pillé plus de 500 familles, dévasté et saccagé sur son chemin les campagnes environnantes, s’en retourna avec un nombre considérable de bétail, presque tous les chevaux des habitants avec des centaines voitures chargées d’un immense butin. Parmi les propriétés détruites à Saint-Benoît se trouvent les notariats de M. Raizenne et Girouard avec plus 20 000 titres de famille, de propriété, de l’histoire du Canada manuscrites par feu le Dr Labrie et autres documents précieux sur le pays. Trois belles bibliothèques ont été dispersées, etc. Outre ces pertes inappréciables, on estime le pillage fait par l’armée anglaise à plus de £ 25 000, et les propriétés incendiées à plus de £ 30 000. On peut voir à ce sujet un état détaillé de ces pertes qui a été publié en partie dans les gazettes. »

Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

Qui a écrit cet article?

Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001). 

Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018). 

Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013.

Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

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