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L’énigmatique portrait de Chénier

Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard. 

En réalisant une centaine de portraits de ses compatriotes détenus à Montréal en tant que prisonniers politiques, le notaire de Saint-Benoît Jean-Joseph Girouard était probablement loin de s’imaginer toute l’importance historique que son œuvre picturale allait avoir.

Parmi la vaste « Collection Girouard » contenue depuis plus de 30 ans à Bibliothèque et Archives Canada (BAC), il se trouve un portrait qui, historiquement, a une portée extraordinaire, non seulement pour sa valeur archivistique, mais surtout pour le sujet dont il est question. Il s’agit du portrait du Dr Jean-Olivier Chénier, chef des patriotes de Saint-Eustache décédé lors de l’historique bataille du 14 décembre 1837.

Portrait de Jean-Olivier Chénier (1806-1837), par Jean-Joseph Girouard. (Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Fonds Jean-Joseph Girouard, Jean-Olivier Chénier, R5796-0-1-F, e008295863.)

Ce qui est évidemment exceptionnel avec l’esquisse de Chénier réalisée en prison, c’est que contrairement à la quasi totalité des autres représentations, celle du chef rebelle a été dessinée post mortem, c’est à dire après sa mort. Il faut convenir qu’un artiste en pleine possession de ses moyens a ainsi réalisé cet œuvre de mémoire, ce qui, en soi, est formidable d’autant plus que sa valeur historique réside justement là : il s’agit de l’unique effigie du héros de Saint-Eustache.

En 1838, derrière les barreaux de la prison « neuve » de Montréal, Girouard réalise plusieurs portraits destinés aux familles de ses proches, notamment les Dumouchel, Masson, Robillard, Scott, Labrie et… Chénier. Dans une correspondance avec sa femme, datée du 9 mars 1838, le notaire portraitiste parle en termes fort élogieux de son ami décédé héroïquement sur le champ d’honneur : « Notre ami, son courageux époux, est mort pour une cause sainte : il a été la victime de mesures mal prises, de places mal concertées : il a été massacré par nos anthropophages qui auraient dû honorer son intrépidité. » Plus loin, il affirme : « […] Je reçois une lettre de madame Chénier, me demandant si je pourrais me rappeler assez les traits de son mari pour lui en faire un crayon : cela est presque impossible. » Girouard réalise donc l’« impossible »…

Court texte biographique situé au bas du portrait de Jean-Olivier Chénier. La première partie biographique est de la main de Joseph-Amable Berthelot fils alors que la signature de Chénier en bas est de la main du notaire André Jobin (BAC, Fonds Jean-Joseph Girouard, Jean-Olivier Chénier, R5796-0-1-F, e008295863.)

Initialement attribué au notaire de Saint-Benoît en raison de sa similitude artistique et de sa localisation archivistique, le portrait de Chénier fut par la suite longtemps imputé au notaire de Sainte-Geneviève André Jobin pour la simple et bonne raison que celui-ci est signé « M. A. Jobin ». Seulement, Jobin, quoiqu’ayant un certain talent de dessinateur, n’était nullement portraitiste. L’analyse autographique nous indique à l’évidence que la note biographique inscrite au bas du dessin est de la main de Joseph-Amable Berthelot fils (note initialée « J. A. B. »), alors que la signature de « Jean-Olivier Chénier » est en effet celle d’André Jobin. En définitive, nous sommes d’avis que le portrait de Chénier est bel et bien de la main de Girouard, en raison
de ses traits caractéristiques si communs aux autres portraits. Seul Girouard, à cet époque, pouvait ainsi dessiner les traits aussi justes de son ami de la rivière du Chêne.

Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

Qui a écrit cet article?

Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001). 

Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018). 

Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013. 

Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

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