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Les portraits de patriotes… au fil du temps

Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard. 

Les portraits de patriotes dessinés par Jean-Joseph Girouard ont suivi un parcours historique particulier. Diverses générations de Girouard furent respectivement propriétaires de la majorité de ces œuvres d’art. Au fil du temps, certaines créations furent vendues, cédées, égarées, acquises, voire peut-être même volées par des tierces parties. Le fait de retracer leurs possesseurs n’est donc pas dénué d’intérêt.

De son vivant, Jean-Joseph Girouard est généralement l’unique propriétaire de ses réalisations. Au moment de ses deux incarcérations à la prison du Pied-du-Courant, à Montréal, l’artiste réalise bien des copies (calques) pour quelques-uns de ses compagnons ou leur famille, mais se garde bien de conserver les originaux. C’est ce lot d’une centaine d’esquisses qui sera ultimement cédé à Bibliothèque et Archives Canada. C’est à la suite de son décès en 1855 que les portraits débutent leur long parcours historique.

Selon toute vraisemblance, Girouard donna de son vivant une partie de ses réalisations aux familles des prisonniers. Toutefois, l’essentiel de la « collection Girouard » fut cédée à son amie Adèle Berthelot, l’épouse de Louis-Hippolyte La Fontaine. On sait néanmoins qu’en 1893, ces portraits étaient entre les mains du beau-frère de Girouard, le juge Joseph-Amable Berthelot.

Photo du juge Joseph-Amable Berthelot (1815-1897). (Bibliothèque et Archives nationale du Québec (BAnQ), Fonds J. E. Livernois Ltée – Archives nationales à Québec, P560, S2, D1, P737, Joseph-Amable Berthelot, vers 1880, Id 325093.)

La suite de la passation est plutôt complexe. Le juge Berthelot transmet les portraits à son épouse, Julie-Hélène Bédard (née McEnis, mais fille adoptive d’Elzéar Bédard). Devenue veuve en 1897, elle les lègue à sa fille Julie Berthelot qui les lègue à son tour à sa propre fille Hélène Turgeon. Il est probable que cette dernière les cède à Jeanne Girouard-Décarie, fille de Joseph Girouard et petite-fille du notaire patriote. Passionnée d’histoire, elle multiplie les efforts dans le but de faire connaître les faits et gestes de son aïeul, notamment en écrivant bon nombre d’articles historiques dans les journaux de la région. Dans les années 1950, Mme Girouard-Décarie entretient une correspondance avec divers archivistes et bibliothécaires du pays afin de juger l’importance historique de sa collection picturale.

Gustave Lanctôt, archiviste aux Archives publiques du Canada (aujourd’hui Bibliothèque et Archives Canada), écrit à Mme Girouard-Décarie : « [Je] reçois à l’instant votre liste des portraits extrêmement intéressante. Je vous en fais mon remerciement. C’est une pièce de famille nationale que Québec devra se donner l’honneur de placer un jour dans son musée historique. » Elle en parle aussi à Gérard Morisset, directeur du Musée du Québec (aujourd’hui le Musée national des beaux-arts du Québec).

Vue des portraits contenus dans la salle d’exposition permanente à la Prison-des-Patriotes-au-Pied-du-Courant, à Montréal. (Photo Jonathan Lemire)

En 1965, la collection Girouard est exposée à la Galerie Cartier, rue Saint-Paul à Montréal. Le propriétaire de cette galerie et promoteur de l’événement est le Dr Herbert Schwarz, collectionneur d’œuvres d’art. Ce fut l’une des seules occasions où le public eut l’opportunité d’observer ces profils d’insurgés. C’est étrangement à la suite de cette exposition que certains portraits sont perdus. Parmi ces derniers, on retrouve ceux de Ludger Duvernay, François Nicolas, Joseph-Narcisse Cardinal, Charles-Elzéar Mondelet, Ephraïm Knight, Louis Perrault et possiblement un plan de l’intérieur de la prison du Pied-du-Courant réalisé par André Jobin. Encore de nos jours, ces portraits sont toujours portés disparus.

Jeanne Girouard-Décarie aurait d’abord offert sa collection aux Archives de la province de Québec qui les auraient refusés en raison du coût d’achat qui aurait été de 50,000 $. À défaut de léguer le fonds à Québec, elle fait photographier ses esquisses historiques et cède le tout aux Archives publiques du Canada à l’automne 1965. Ce fonds est d’abord connu sous le nom de « Collection Jean-Joseph Girouard ».

Vue des portraits contenus dans la salle d’exposition permanente à la Prison-des-Patriotes-au-Pied-du-Courant, à Montréal. (Photo Jonathan Lemire)

Après le décès de Jeanne Girouard-Décarie en 1978, c’est Pierre Décarie, son fils, qui conserve les portraits dans une voute de la Banque de Montréal. Selon Béatrice Chassé, biographe de Jean-Joseph Girouard et auteure d’une thèse de doctorat – Jean-Joseph Girouard, patriote et rebelle – à l’Université Laval en 1974, c’est lui qui est le dernier propriétaire de ces 102 représentations.

Enfin, en 1984, les archives fédérales acquièrent l’entièreté du fonds des quatre enfants de Mme Girouard-Décarie, à savoir Alberte, Jeanne, Carmel et Pierre Décarie (mentionnée ci-haut). Le montant fixé est le même qui fut refusé plus tôt par Québec. Ainsi, le Fonds Jean-Joseph Girouard se trouve conservé à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) depuis 1984. Il est toujours accessible au public et depuis quelques années accessibles en ligne.

Depuis l’année dernière, les portraits originaux sont présentés en alternance à la Prison-des-Patriotes-au-Pied-du-Courant, à Montréal, dans l’exposition intitulée Entre résistance armée et insurrection – chapitre 2. Située au cœur d’un patrimonial d’exception, cette exposition permanente « rend hommage à ces hommes qui, épris de leur patrie, ont sacrifié leur liberté et certains leur vie pour un idéal de démocratie et d’émancipation coloniale ».

Portrait de François-Guillaume Trottier-Desrivières. (Photo Jonathan Lemire)

Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard et ses portraits, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

Qui a écrit cet article?

Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001).

Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018). 

Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013. 

Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

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