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La « maison blanche » de Saint-Benoît

Du 22 mai au 6 novembre 2023, l’historien Jonathan Lemire, commissaire de l’exposition Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), vous propose à chaque semaine une chronique dans laquelle il explore plus en détail un aspect de la vie, de la carrière ou de l’œuvre du notaire et député patriote Jean-Joseph Girouard. 

L’historique village de Saint-Benoît (Mirabel) est mieux connu pour son épisode tragique lors des rébellions de 1837-1838. Le 15 décembre 1837, l’armée britannique du général John Colborne et les volontaires provenant de Montréal et de la seigneurie d’Argenteuil arrivent dans le bastion patriote dont les habitants mettent bas les armes. Le « Vieux Brûlot » et son état major prennent alors leur quartier dans la grande et luxueuse maison du notaire Jean-Joseph Girouard, située sur la rue Saint-Jean-Baptiste, avantageusement située au centre du village. Le lendemain, au départ des troupes, celle-ci est réduite en cendres à l’instar du village en entier.

Cette vaste demeure fut construite en 1819, à l’arrivée du jeune notaire au village. Elle mesurait alors 36 pieds de longueur par 30 pieds de profondeur, avec une cave de 5,5 pieds de hauteur. Une autre maison d’un étage en pièce sur pièce de 12 pieds de haut est aussi bâtie de manière juxtaposée. Girouard y demeurera avec sa première épouse, Marie-Louise Félix dite Lamédèque, jusqu’à ce jour fatidique de décembre 1837.

Photo de la maison blanche de Jean-Joseph Girouard, rue Saint-Jean-Baptiste, Saint-Benoît, date inconnue. (Collection Jonathan Lemire)

À son retour à Saint-Benoît vers la fin de 1838 après sa libération de prison, le notaire patriote constate avec désolation les traces du passage des troupes régulières et volontaires. Dès l’année suivante, il débute la reconstruction de sa maison qui sera édifiée sur ses mêmes fondations (et cheminées). Cette magnifique demeure rayonne et semble grandiose au centre du petit village encore de nos jours. Cette résidence, toujours debout et fière malgré son âge, c’est la « maison blanche » de Saint-Benoît. Pourquoi blanche ? Son revêtement de bois extérieur était tout simplement peint en blanc, la rendant ainsi d’autant plus majestueuse du haut de ses trois étages (rare pour une maison de campagne).

Le couple Girouard-Félix emploie souvent jusqu’à 14 employés dans la maisonnée. Ils avaient au moins une, voire même jusqu’à quatre servantes. Gravite autour d’eux le jeune Alfred Dumouchel, fils d’Ignace Dumouchel, marchand patriote de Rigaud et beau-frère de Girouard, aussi Félix-Hyacinthe Lemaire, clerc notaire qui deviendra l’« assistant », puis son partenaire. Les deux jeunes hommes s’affairaient aux menus travaux extérieurs.

Album rare portant sur l'histoire et la généalogie de la famille Girouard. (Collection Jonathan Lemire)

À partir de 1821, sa mère Marie-Anne Baillairgé et sa sœur Angèle Girouard viennent habiter chez lui. Les deux femmes meurent en 1835 en cet endroit, à deux mois d’intervalle, la première à l’âge de 71 ans et la seconde à l’âge de 39 ans.

Béatrice Chassé, auteure d’une thèse sur la vie du chef patriote, affirme: « Cette vaste maison, si accueillante et où régnait l’abondance, est le lieu de refuge et de repos de tous les parents et amis. C’est en quelque sorte l’hôtellerie du village. Les hôtes ont le coeur sur la main et ne refuseraient jamais la charité de leur toit à un mendiant ou à un vieillard. » Devenue soudainement plus grand à la suite des décès des deux dames, la vaste maison du notaire recevait parents et amis à répétition, faisant ainsi de l’endroit un arrêt incontournable pour quiconque passait dans la région ; pensons notamment au député patriote de Bellechasse, Augustin-Norbert Morin, proche de Papineau, coauteur des 92 Résolutions, et ami de Girouard, qui avait littéralement sa chambre chez celui-ci.

Calendrier perpétuel réalisé par Jean-Joseph Girouard, ca 1843. (Collection Jonathan Lemire)

Avec tant de va-et-vient, les soirées et les fêtes étaient choses fréquentes. Tous les anniversaires des parents et amis y étaient soulignés. Dans son Journal de famille, la seconde épouse du notaire, Émélie Berthelot relate ces soirées typiques et mémorables lors desquelles on y jouait de petites saynètes mettant en vedette Girouard, Morin et Marie-Victoire Félix (épouse du marchand Jean-Baptiste Dumouchel) qui avait un don pour l’art dramatique.

Aussi, lorsque le grand tribun Louis-Joseph Papineau se rendait ou revenait de sa seigneurie de la Petite-Nation, il passait inévitablement par Saint-Benoît où il prenait le repas et passait la nuit chez son ami Girouard. Évidemment, le village était alors en liesse. Une grande tablée était préparée dans l’immense salle à manger de la maison blanche et autour de laquelle était réunis, outre le charismatique leader patriote, Girouard et son épouse, Morin, les Dumouchel, les Masson, Jacob Barcelo, Amable Labrosse et bien d’autres.

À côté de la salle à manger, le vaste salon était quant à lui orné d’une quantité impressionnante de portraits de famille empruntés aux familles Girouard et Baillairgé, tous de la main du talentueux notaire portraitiste.

Photo de la maison blanche de Jean-Joseph Girouard, vers 1925. (Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), Collection initiale, P600, S6, D5, P608, Edgar Gariépy Photographie Artistique & Industrielle, vers 1925, Id 330691)

La résidence comportait pas moins de 18 pièces, dont un bureau où le notaire s’y affairait pour le travail et une bibliothèque largement garnie. Celle-ci abritait l’une des plus grandes collections de volumes au nord de Montréal. La bibliothèque du notaire était impressionnante. Aussi, Girouard ne cachait pas non plus son intérêt pour les sciences. Sa résidence comportait de nombreux instruments de chimie et de physique, des produits chimiques de toutes sortes ; un véritable laboratoire domestique, au dire de Béatrice Chassé. Il était l’un des rares à posséder un anémomètre, un microscope, un télescope, et même un cadran solaire dans sa cour arrière.

Après la mort de Girouard en 1855, sa veuve Émélie Berthelot confie la maison à son fils ainé Joseph qui l’habitera jusqu’à sa retraite en 1915. Il la confie à son tour à son fils Joseph-Lionel Girouard qui n’habite pourtant pas la maison. En 1928, ce dernier redonne à son père qui la cède à son tour à sa petite-fille, Jeanne Girouard-Décarie qui la conservera jusqu’en 1943. Elle sera la dernière de la famille à y habiter.

L’actuel exposition présente d’ailleurs quelques artéfacts provenant de la « maison blanche », notamment une bouteille de gin retrouvée lors de fouilles archéologiques sur le terrain et une magnifique clé servant à barrée l’immense et impressionnante porte d’entrée de celle-ci.

Pour en savoir plus sur Jean-Joseph Girouard, visitez l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

Qui a écrit cet article?

Historien, auteur, généalogiste et conférencier spécialisé dans l’histoire du Québec au 19e siècle, particulièrement sur les rébellions de 1837-1838 dans le comté des Deux-Montagnes, Jonathan Lemire est diplômé en histoire à l’Université de Montréal (2001). 

Il est depuis plusieurs années chercheur et commissaire sur plusieurs expositions permanentes et temporaires en lien avec l’histoire insurrectionnelle. Il est l’auteur de cinq ouvrages : Jacques Labrie. Écrits et correspondance (Septentrion, 2009), Portraits de patriotes, 1837-1838 – Œuvres de Jean-Joseph Girouard (VLB éditeur, 2012), L’église de Saint-Eustache : une histoire mythique, patriotique et symphonique (Ville de Saint-Eustache, 2013), Ludger Duvernay, Lettres d’exil, 1837-1842 (VLB éditeur, 2015), L’OSM en concert à l’église de Saint-Eustache. 235 ans d’histoire et l’avenir devant nous (Fondation église historique de Saint-Eustache, 2018). 

Pour son implication et ses nombreux travaux en histoire, il fut honoré de la Médaille de l’Assemblée nationale en 2013. 

Il est finalement commissaire, coordonnateur, chercheur et rédacteur dans le cadre de l’exposition temporaire Visages des rébellions – Jean-Joseph Girouard, patriote portraitiste (1794-1855), réalisée par la Maison nationale des patriotes et présentée à l’Espace muséal du manoir Globensky du 18 mai au 12 novembre 2023.

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